Littérature/« Perdue dans la nuit » de l’écrivain togolais David SEGNON : De l’amour à la cécité !

En 2015 paraissait chez Awoudy l’œuvre intitulée Perdue dans la nuit. C’est un roman de 92 pages écrit par David Apéti SEGNON. Avec brièveté et concision. Je suis tombé sur l’ouvrage en 2022. Sept ans après. Je l’ai lu. Le récit m’a captivé. Il m’a replongé dans les souvenirs de mes années du collège et de lycée. La belle et innocente époque. Quelle était si belle ! On ne jurait naïvement que par l’amour. C’est l’époque des premières amours illusoires. Des rêveries, des petites folies, des projets de mariage sans tête ni queue. Tout ce qui avait de l’importance à nos yeux étaient nos amitiés, nos petites sorties, nos moments de récréations etc. Nous tenions même pour réalité nos chimères. Aujourd’hui, j’ai la mélancolie de ces années écoulées. De tels souvenirs, ce roman est capable d’en réveiller en chaque lecteur !
David SEGNON, quand il publiait cet ouvrage, était encore enseignant d’histoire-géographie dans une école de Lomé. Il était donc proche des élèves. Il avait l’oreille et les yeux d’un éducateur. Il observait de près ceux-ci. Les rapports qu’il entretenait avec ses élèves ont fertilisé son imaginaire et lui ont permis de construire cet univers fictif vraisemblable.
Le récit se déroule entre trois localités : Agoué Djigo, une localité située en terre béninoise, à dix kilomètres de la frontière togolaise ; Aného, ville togolaise aux bords de l’Atlantique et Lomé, la capitale togolaise. En effet, suite à une grève qui sévissait au Togo, des citoyens ont été contraints de se réfugier dans les pays voisins. C’est ce qui conduit Légéra et Morell qui vivaient précédemment à Lomé en terre béninoise, à Agoué Djigo. Au cours d’une promenade le long de la côte marine en compagnie de sa nièce Didi, Légéra, belle et séduisante fille en classe de première D, fait la connaissance de Morell, élève en Terminale A4. Tous deux venus du Togo. De cette rencontre presque fortuite naît une idylle. Ce qui impressionnait beaucoup plus la jeune fille était l’aisance avec laquelle Morell manie la guitare. Sa gentillesse, sa simplicité et son sens d’humour aussi. Le calme revint au Togo. Les deux tourtereaux retournent à Lomé avec la même flamme au cœur. L’année scolaire s’achève en toute beauté avec la réussite des deux. Désormais bachelier, Morell s’inscrit au département de psychologie à l’Université de Lomé et Légéra continue en classe de Terminale D. Quelques mois plus tard, ce bonheur a commencé par se compromettre. Morell se lie d’amitié avec Bertille, étudiante à la Fac de droit, fille charmante issue d’une famille nantie. Bertille comble Morell de cadeaux couteux. Ceci rendait jalouse et inquiète Légéra. Elle craignait de perdre son amant au grand dam de Bertille. Elle ne réussit pas à endiguer le danger. La proximité entre les deux étudiants et l’aisance de Bertille ont joué en sa défaveur. En cachette, Morell vivait une relation amoureuse avec Bertille. Entre temps, sur proposition de Bertille, Morell informe sa petite amie d’un voyage fictif sur Kpalimé pour sept jours. Alertée par un inconnu au téléphone, Légéra surprend les deux amoureux à la plage de Lomé. Elle prend donc l’initiative le lendemain matin de se rendre chez son copain. Arrivée, elle trouve coucher sur le lit de ce dernier Bertille. Elle commence par battre sauvagement celle-ci. Ne sachant que faire pour maîtriser la situation, Morell se saisit dans sa chambre d’une bouteille avec laquelle elle frappa la tête de Légéra. Quelques gouttes de liquide (substance chimique) sortent de ladite bouteille et entrent dans les yeux de Légéra. Trois jours après, celle-ci perd la vue. Devenue donc aveugle, elle a été abandonnée par son copain qu’elle aimait tant. Par la suite, elle se trouve enceinte de Morell. Suite à une chute sur l’escalier, elle perd cette grossesse, malheureusement. Afin d’apprendre l’écriture braille et de continuer ses études, Légéra fut amené à l’institut Médissa. Elle retrouve la joie là, apprend à jouer du violon etc… l’Institut Médissa reçoit la visite de la Fondation du Benelux d’Aide aux Handicapés. Au cours de leur séjour, la sensibilité d’un d’entre les visiteurs a été touchée par la belle prestation de Légéra et surtout ses paroles accablantes. Teri Van Jenkins décide d’amener Légéra en Europe après son examen du BAC pour qu’elle subisse une intervention chirurgicale. Cela fut fait. Opération réussie. Légéra recouvre la vue. Teri Van la demande en mariage…
Cet ouvrage, par l’entremise de ce récit émouvant de Légéra convoque l’attention des hommes sur la situation des personnes handicapées. Chaque lecteur a au moins un ou des proches en situation de handicap. Que faisons-nous pour les soutenir ? Quelle place les accorde-t-on au sein de nos familles, de nos services, de nos écoles, de nos églises, de nos hôpitaux !? Combien de fois annuellement pensons-nous à ces êtres marginalisés, stigmatisés et même discriminés ? Comment partageons-nous avec eux leurs douleurs, leurs malaises ? De quelle façon compatissons-nous à leur souffrance ? Certains essayent de le faire. Mais d’autres non ou pas encore. La grande leçon à tirer de ce roman est celle de l’attention à accorder aux handicapés. Ils ont sans l’ombre d’un doute besoin de moi, de toi. Bref de nous. Il est nécessaire de repenser ou de recadrer les rapports que nous entretenons avec ceux-ci. Légéra a pu surmonter sa peine parce que sa famille était là, l’institut Medissa lui avait servi de seconde famille. Nous devons cesser, pour une société harmonieuse et équitable, des attitudes comme celles à l’image du personnage Morell qui a abandonné cette naïve et innocente fille qui par amour a mis en danger sa vie.
Perdue dans la nuit est la métaphore de nos sociétés actuelles où on a tendance à dédaigner les personnes en situation de handicap. La bonne nouvelle est que le roman se ferme par une note satisfaisante comme pour dire aux insensibles que rien n’est fini pour ceux qui savent attendre et croire en Dieu.
L’écrivain Apéti David SEGNON est cet écrivain qui prend à cœur l’inquiétude des damnés, des sans voix, des marginalisés et qui cherchent inlassablement à travers son art, son écriture à sensibiliser nos sociétés et les inviter à une prise de conscience collective.
FAMBI Kokou Isaac, écrivain