novembre 6, 2024

Récépissé No 0054/HAAC/07-2022/pl/P

JILP: La presse privée togolaise à l’agonie, ses acteurs la voient mourir

Par Narcisse Prince Agbodjan et Kofi Telli

Ces dernières années, l’Etat togolais a insisté sur la nécessité pour le secteur des médias de se professionnaliser davantage. A travers le ministère en charge de la Communication et des médias, il s’est fortement impliqué aux côtés des autres acteurs des médias dans la relecture du code de la presse et de la communication. Ce code revisité prévoit désormais des entreprises de presse en lieu et place des organes de presse. L’idée est d’encourager les médias à sortir de l’informel. Aussi, la HAAC a-t-elle dorénavant un droit de regard sur les médias numériques.

Pour soutenir cette dynamique, le gouvernement promet un fonds de soutien et de développement de la presse. L’autre raison qui motive ce projet, c’est d’amener les journalistes à s’accrocher à l’éthique et la déontologie de leur métier.

Aussi, l’opinion n’a-t-elle pas souvent pointé du doigt les lacunes de la presse togolaise qui se déclinent sous plusieurs formes : manque de professionnalisme, bidonnage, insulte, diffamation, intrusion dans la vie privée et même incitation à la haine. Une presse, selon elle, dépourvue de normes classiques d’objectivité, l’éthique étant le premier bouclier du journaliste.

Une chose est sûre, le gouvernement appelle de tous ses vœux un quatrième pouvoir mâture, responsable et aguerri à la maîtrise des grands enjeux, dans l’intérêt des citoyens.

Pour laisser le temps aux acteurs de se conformer à la nouvelle donne prescrite par le Code de presse et de la communication revisité, un moratoire de 3 ans a été accordé depuis janvier 2020.

Dans la perspective de la fin de cette période de grâce, les médias s’échinent sans trop connaître les tenants et les aboutissants des contraintes subséquentes.

De l’exigence de la constitution en entreprise de presse aux nouvelles contraintes.

Le processus de mutation des médias en entreprises de presse semble irréversible. Indispensable pour certains. Mais si l’on finit par se faire à l’idée que cette étape est un passage obligé, il est opportun de se poser un certain nombre de questions: une fois la transmutation effectuée, avec quel marché les médias pourraient-ils rentabiliser les entreprises ainsi créées ?

Tout l’enjeu réside là.

Au Togo, les organes de presse privés ont très peu d’abonnement émanant des structures publiques. Tout se fait la plupart du temps dans l’opacité. Vous devrez savoir pourquoi, vu le paysage politique du pays. Que dire de l’absence criarde de transparence dans l’attribution de la publicité publique ?

A l’heure actuelle, les organes qui se sont conformés à cette exigence du Code de la presse et de la communication ont compris​ qu’entreprise de presse rime avec moyens financiers, modèle économique et management.​ Ils sont désormais condamnés à supporter les charges que cela implique, sous peine de faillite.

Qu’on se le dise, les temps sont trop durs et si l’on n’y prend garde, la situation peut tomber de Charybde en Scylla.

L’autre élément qui peut s’avérer comme un obstacle à la mise en place de véritables entreprises de presse, est la formation au management d’une entreprise: Lorsque l’entrepreneur media n’a aucune maîtrise de la frontière étanche qui doit exister entre le responsable, personne physique et la personne morale de l’entreprise, les dégâts ne sont pas loin. Au Togo, plusieurs patrons de presse ne savent pas dissocier la structure média de leur propre personne. Il faut donc trouver le modus operandi idoine qui permettrait de se départir des vieilles pratiques où l’individu gère son entreprise comme une épicerie familiale. Autrement, les médias connaîtraient difficilement la rentabilité dans la mesure où, il n’y a pas de gestion susceptible de faire vivre l’entreprise de presse.

L’urgence aujourd’hui est d’instaurer des entreprises de presse avec des mécanismes de gestion pour une meilleure rentabilité. Un travail de longue haleine s’impose sur le terrain pour la professionnalisation de la gestion de l’entreprise avant de songer aux dividendes qui pourraient permettre au journaliste de vivre désormais de son travail. Depuis plusieurs années, la presse togolaise est en proie à des problèmes spécifiques au secteur.

Le débat aujourd’hui sur la faiblesse ou le manque de moyens financiers des médias est plus que jamais d’actualité. Ce manque de ressources financières, non seulement constitue un obstacle à une formation adéquate des professionnels de la presse mais aussi contraint certains à se livrer à des pratiques journalistiques équivoques.

Cependant, certaines personnes averties estiment, à l’aune des investissements et contraintes pour une mutation des organes de presse en entreprises de presse, que la pratique du journalisme doit cesser d’être la résultante du seul sacerdoce. Elles soutiennent que plusieurs têtes d’affiches parmi les tenants de l’ancienne école qui ont fait du journalisme un sacerdoce sans forcément se soucier de leur subsistance ont fini dans le dénuement, alors qu’elles étaient les meilleures de leur génération.

Si rien n’est fait, la presse privée togolaise en butte aux multiples aléas aura toutes les peines de ce monde à sortir de l’auberge des difficultés dans lequel elle séjourne depuis des lustres. La fermeture d’entreprise est aux portes de certains médias à cette allure. 

La presse togolaise va au-devant de sérieux problèmes. Le monde des médias lui-même est miné en son sein par de véritables problèmes.

 Au Togo, il y a un clivage interne qui ne dit pas son nom entre les journalistes, ce qui rend impossible toute action unitaire. Une situation très dangereuse pour le métier de journaliste. Il n’y a pas un seul sujet sur lequel les journalistes togolais peuvent être unanimes.

Bravo à l’organisation de la presse qui a pu décrocher l’assurance maladie pour les journalistes et leur petite famille. Sinon, des sujets autour desquels les journalistes se battent pour vivre mieux, il n’en existe pas ou plus.

A ce propos, ils sont nombreux à sortir l’argument selon lequel quand on crée son organe de presse, on doit se battre individuellement pour lui donner une vie.

Posez-leur la question de savoir combien de contrats et de partenariats ils ont pu décrocher seuls parce qu’ils s’imposent par le travail. Sur ce point, nous savons comment les choses se passent et pas question de se leurrer. Nous sommes appelés à corriger les choses, pas à montrer le cul du dindon que nous sommes.

Le seul jour où les journalistes togolais se mettent ensemble, c’est le jour où on apprend qu’un d’entre eux, à cause d’une simple maladie pour laquelle il n’est pas arrivé à réunir même de maigres moyens financiers pour la prise en charge des frais d’hôpitaux, meurt dans le dénuement. Et rebelote !

Les autres qui respirent encore et continuent de croire que les choses vont changer du jour au lendemain, quant à eux, jouent les hypocrites, soi-disant qu’ils compatissent à la mort de leur confrère. Ce qui est faux. Il suffit d’entrer dans leurs petits cercles pour se rendre compte de leur vrai visage hideux. 

La division est réelle dans notre corporation.

Le danger, conséquence des problèmes énumérés plus haut, qui guette la presse togolaise, c’est qu’il n’y a pas de quatrième pouvoir au Togo, étant faible.

Et de jour en jour, la petite partie visible de ce pouvoir, s’il en existe encore, s’enlise complètement et perd la face. Ce tableau noir affiché de la corporation fait dire à certains journalistes que dans les années à venir, il n’y aura plus de presse digne de ce nom au Togo.

En la matière, un fait à la peau dure, se trouve être très illustratif. Dans notre pays actuellement, la publicité publique, sauf celle de la CENI jusqu’aux dernières élections municipales, va seulement à un certain nombre de médias.

On dirait que les autres, qui souffrent en silence, n’ont pas encore acquis le statut de médias pour en bénéficier. Quel pays !

En 2021, il a été demandé à un certain nombre de médias cooptés (cela a toujours été ainsi) de faire des insertions publicitaires dans le cadre de la riposte contre la maladie à coronavirus. Les médias choisis ont fait leur travail. Sauf qu’au bout, en tout cas, les sites d’informations n’ont jamais eu de rémunération en contrepartie de cette prestation. A la question de savoir qu’est-ce-qui explique cette situation? C’est la grande muette comme réponse.

Comment veut-on qu’on en arrive à une presse indépendante si les médias ne peuvent même pas se nourrir du travail qu’ils font ?

Le pire, c’est qu’il n’y a pas eu de réaction ouverte. Tous ceux qui se sont plaints, le faisaient dans leur petit coin. Quelle presse !

Plus grave encore ! Aujourd’hui, la médisance, la méchanceté, le mensonge, la roublardise, l’envie, la jalousie et bien d’autres maux encore s’érigent en mode entre les journalistes au Togo. Ces vices semblent être les choses les mieux partagées dans la corporation. Le journaliste togolais peut sourire à son confrère en face et aller dire derrière lui dans les seconde que ce dernier vend de la drogue sinon il ne conduirait pas la voiture qu’il a. Pour lui, le train de vie de son confrère n’est pas normal. Un  journaliste togolais ne peut pas avoir ce train de vie.

La jeune génération de journalistes doit abattre sa carte. Nous n’avons pas la prétention d’être exhaustifs. Même si c’est un seul problème auquel les journalistes font face, il est de rigueur de dire que ce sont les membres de la corporation qui, individuellement ou collectivement, prêtent le flanc à ses différents problèmes auxquels la presse est confrontée.

Les coqs et les poules se battent tous les jours. Mais, jamais, de leur bec, ils ne s’éborgnent. Mieux encore, quand descend un épervier, c’est ensemble qu’ils accourent vers un refuge.

C’est une leçon que doivent apprendre par cœur les journalistes togolais.

 A ce propos, la jeune génération de la presse togolaise a du pain sur la planche. Ceux qui se sucrent dans la donne actuelle, ne changeront quoi que ce soit. Il y a un adage au pays qui dit qu’on ne scie pas l’arbre sur lequel on est assis.

La jeune génération, c’est-à-dire ceux qui ont plus ou moins 10 ans dans ce secteur, doit remuer le cocotier. Soit, elle doit se lever pour prendre son destin en main, ou elle va mourir, non pas parce qu’elle n’existera pas mais parce qu’elle n’aura plus de choix que de s’aligner derrière le tableau peu reluisant de la presse togolaise que nous décrions.

Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous nous mettons à mettre ceci noir sur blanc. Nous avons à cœur de voir les choses prendre une autre tournure pour le bien de la presse togolaise. Si rien n’est pas, d’ici quelques années, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.

Vivement des actions concrètes pour sauver la corporation !!

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