mars 16, 2025

Récépissé No 0054/HAAC/07-2022/pl/P

Tribune de Nathanaël Olympio :  » La pensée bâillonnée des intellectuels au Togo »

Tout n’est pas rose dans les universités du Togo notamment à celle de Lomé. D’aucuns estiment que c’est une assiette bien embellie en apparence dont l’intérieur est rempli d’insalubrité. Depuis un moment le bruit persiste avec des convocations et des sanctions à l’encontre des enseignants chercheurs jugés critiques à l’endroit des autorités universitaires. Qu’est-ce qui se passe dans les universités du Togo? Cette question trouve sa réponse dans cette tribune publiée par Nathanaël Olympio, président du parti des Togolais.

De Lomé à Kara, au sein des deux seules universités publiques du pays, le torchon brûle ces derniers
temps entre présidents d’université et chercheurs. Coup sur coup, deux affaires se succèdent et
défraient la chronique. Ce qui n’est pas de nature à préserver la sérénité dont ces lieux ont besoin
pour la formation des futures élites du pays. Cette situation est préoccupante et affligeante.
D’ailleurs, cela me renvoie à mes propres expériences et constats.
Je rends de temps en temps visite à un professeur d’université, sur son lieu de travail. Un monsieur,
jeune et brillant dans son domaine, pour qui j’ai un grand respect. Le genre de personnes
compétentes qui peuvent être bien utiles au pays.
Sauf que, ce dernier croupit dans son bureau exigu et se sent surveillé dans ses moindres faits et
gestes. Il a perdu ses illusions de jouir d’une évolution de carrière à la hauteur de ses capacités. Ses
ambitions, pour lui-même et pour son pays, s’éteignent à petit feu, rongées par la peur et le
désintérêt. Le motif est qu’il n’est ni militant ni sympathisant du parti présidentiel. C’est sa profonde
conviction. Il ne dispose pas d’un « parrain » au sein du régime pour protéger et booster sa carrière,
comme certains de ces collègues dont il se méfie comme de la peste. Contrarié, frustré et abattu, il
est démotivé, résigné et aigri. Un vrai gâchis pour lui, pour sa famille et pour le pays tout entier !
C’est ce désastre que vit la majorité des intellectuels au Togo. Ces potentiels éveilleurs de conscience
sont surveillés par la puissance publique comme du lait sur le feu. Une trop forte proximité avec un
acteur politique de l’opposition peut être source de tous les ennuis professionnels. Alors, ils
s’autocensurent et se font discrets. Ils coupent les liens avec les amis qui sont en politique, dans
l’opposition, cela s’entend.
La conséquence directe est que ces universitaires évitent soigneusement de s’exprimer sur les
questions de politiques publiques. Dans d’autres pays de la sous-région, les intellectuels écrivent des
tribunes, ils analysent et donnent leurs opinions sur les choses de la cité. Cela nourrit la réflexion et
interpelle les dirigeants du pays, car leurs savoirs leur donnent une légitimité et une notoriété. Le
faire au Togo, c’est se tirer une balle dans le pied et hypothéqué sa carrière. Car, une prise de
position, ou un simple avis technique est considéré par le pouvoir comme une critique, donc l’auteur
devient de facto une cible. C’est là un comportement typique des adeptes de la pensée unique.
Alors, ces penseurs se murent dans un silence qui n’est pas d’or. Sauf quelques perles rares qui
relèvent le défi en écrivant régulièrement dans les médias. Maryse Quashie, Roger Folikoué et
Togoata Apedo Amah, j’en oublie peut-être, sont de ces espèces que l’on cherche à la loupe. Je leur
tire un coup de chapeau.
C’est ainsi qu’à bas bruit et à moindre frais, de manière pernicieuse et redoutablement efficace, le
régime s’octroie le mutisme de ces universitaires qui voient leur cité dépérir, le cœur brisé. Certains
de leurs collègues, pour échapper à ce triste sort, se précipitent dans les bras ouverts du pouvoir qui
leur réserve les meilleurs parcours, souvent au prix de l’alignement sur les convictions d’autrui. On
en voit même qui deviennent très zélés dans le système et tyrannisent leurs malheureux collègues.

Le syndrome de l’Oncle Tom s’applique à plein régime. C’est à qui matera le mieux ceux qui ne
veulent pas se soumettre. Il faut plaire au grand chef.
Ainsi va au Togo, la République des intellectuels bâillonnés. Il faudra bien qu’un jour ces
universitaires osent retrouver leur voix et la responsabilité qui est la leur dans la construction de la
cité. C’est une question de dignité, c’est une question de valeurs. Le choix leur revient !
Prof. Togoata Apedo Amah, enseignant chercheur à l’université de Lomé , a vite réagi après la publication de cette tribune.
« Il y a un proverbe Guin qui dit: « Ne o do ayi a, ayi kpo o la lō » si tu sèmes du haricot, tu récolteras du
haricot. Si la situation de l’université a dégénéré à ce point, les profs en sont largement responsables
par pur opportunisme. Ils ne pensent qu’à eux-mêmes et se foutent complètement du Togo. Rien du
tout ne les empêche de faire leurs recherches et d’évoluer académiquement. Le problème, c’est qu’ils
veulent tous devenir ministres ou directeurs de quelque chose. Donc ils ne veulent pas faire de vagues
pour ne pas compromettre des nominations éventuelles. On me dit sur le campus que plein de profs
sont des mouchards qui enregistrent leurs collègues pour les dénoncer. Et certains n’osent plus parler.
Comment un prof d’université peut-il avoir peur de parler sur un campus ? C’est incroyable !
Ceux-là qui jouent au souffre-douleur sont des opportunistes carriéristes. Entre l’engagement citoyen
et leur carrière, ils ont fait leur choix, car sur le terrain de la recherche, rien ne s’oppose à eux. »

La rédaction

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