Togo/Littérature : « La Fille du tribunal », l’histoire d’une avocate muette
Délana Bila, Basile Gnona, Wasito, Igorine, Larsani sont les personnages de la nouvelle (66 pages) intitulée La Fille du tribunal de David Apéti SEGNON éditée chez Awoudy en 2015.
C’est Wasito qui est la fille du tribunal en raison de son métier. Elle est avocate mais pas comme les autres parce que muette. Le récit de cette nouvelle est rempli de surprises et de rebondissements. La nouvelle s’ouvre par un meurtre, lequel meurtre a entraîné des suites judicaires fâcheuses et a retenu l’attention de presque tous les médias. Le meurtre a eu lieu sur l’avenue Senghor. La charmante Délana, élève en classe de Terminale G2 à l’Institut Van Gogh, est retrouvée le 15 février vers 18 heures dans son domicile la nuque cassée, baignant dans le sang et donc morte.
Sur les lieux du meurtre, Basile Gnona, âgé de 24 ans et titulaire d’une licence en Lettres Modernes, s’y trouvait. Il semble qu’il faisait des avances à la demoiselle qui ne les avait jamais admises. Il est logiquement présumé meurtrier et criminel mais ne reconnait pas les chefs d’accusation retenus contre lui. Basile est mis en prévention pendant sept mois avant l’ouverture de son procès. Au procès, le ministère public a supposé que le meurtrier aurait utilisé une grosse lampe que la victime utilise pour éclairer sa chambre. Le verdict du procès reconnait Basile coupable du crime et le condamne à cinquante ans de prison. Wasito, l’avocate muette qui avait pris part à ce procès n’en n’était pas satisfaite. Précisons qu’elle est muette mais pas sourde. Elle décide de défendre Basile qui, selon elle, est innocent des faits qui lui sont reprochés. Elle sollicite, pour ce faire, l’aide de son amie Igorine employée à la TV3 et chargée du langage gestuel pour l’interprétation de ses gestes. Elle fait des investigations et réussit à discuter avec Basile à la prison civile de Lomé pour avoir sa version des faits. Convaincue de l’innocence de Basile, Wasito se pourvoit en cassation. Malgré les voix dissuasives, l’avocate tenace dans ses convictions fait aboutir la procédure et donc Basile sera jugé pour une seconde fois. Les médias font de l’avocate muette et de son initiative leur sujet de raillerie et de diffamation cherchant par tous les moyens à la décourager, en raison de son handicap. Ils jugent son initiative trop utopique. Son prétendant l’abandonne parce que celui-ci ne voulait pas qu’elle connaisse un échec et s’attire le malheur. Les différentes enquêtes ont permis à l’avocate de dénicher le vrai meurtrier qui n’est rien d’autre que le nommé Larsani. Il est le DG d’une société à Lomé. Il courtisait Délana et lui rendait visite quelques fois à son domicile. C’est lors de sa dernière visite au domicile de la demoiselle avant que n’arrive Basile, suite à une incartade entre lui et Délana, dans un geste malencontreux, qu’elle glissa, tomba et se frappa terriblement la tête contre un tabouret. Elle succombe et Larsani s’échappe par la suite de peur d’en être tenu coupable et éventuellement emprisonné. La vérité se dévoile au second procès sur témoignage de ce dernier. Reconnaissant les faits, il « devra comparaître pour trois chefs d’accusation : meurtre, mensonge et non-assistance à une personne en danger ». Basile fut libéré. Après avoir gagné ce procès et aidé Basile a recouvré sa liberté, Wasito devient une figure importante de la justice. Son ex-prétendant revient plaider pour une seconde chance alors que cette dernière était déjà tombée amoureuse de Basile, son client.
La lecture de cette nouvelle suscite deux grandes réflexions : le statut des personnes handicapées et la carence de l’appareil judiciaire. Les personnes en situation de handicap et surtout la place qu’elles occupent dans nos sociétés sont au cœur du projet d’écriture de David Segnon. La lecture de cette nouvelle m’a fait penser au poème « Les aveugles » de Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal. Par ce récit, SEGNON semble interpeller et exhorter les sociétés en général et les lecteurs en particulier à repenser les relations qu’ils entretiennent avec les personnes handicapées et qui, pour la plupart des temps, sont empreintes de discriminations, de moqueries et de stigmatisations. Personne ne peut choisir de gré devenir handicapée ! Non. Ça, jamais. Pour une société harmonieuse et équilibrée, il nous faut bannir nos attitudes discriminatoires vis-à-vis des personnes handicapées. Parce qu’on peut devenir un jour ou l’autre, par surprise, handicapé. A travers le personnage de Wasito dont le handicap et le métier exercé sont presque contradictoires, l’auteur montre que les personnes handicapées disposent aussi des aptitudes et talents qu’elles peuvent faire valoir. Une avocate muette, c’est quand même osé et bien trop imaginaire. Mais je crois que l’intention profonde de l’auteur derrière cette façon de construire son personnage est d’amener le lecteur à une réflexion constructive. Il faut que nous parvenions à cesser de dissuader les handicapés dans leurs initiatives et projets. Ils ont besoin de notre confiance qui constitue pour eux une force et une énergie inspirantes. Il nous faut plutôt les encourager. Les journalistes, les cadres de justice et les proches de Wasito ont tenté de la dissuader dans sa noble lutte contre l’injustice. Au contraire, sa conviction de même que l’aide et la confiance de son amie Igorine lui ont permis de triompher.
Le thème de la justice est aussi abordé par l’auteur, particulièrement. L’appareil judiciaire de nos pays africains présente assez de carences. Malgré les quelques mois de cours que j’ai reçus à la fac de droit, je ne saurais me prononcer sur la procédure pénale et le procès qui ont permis de juger coupable Basile. De toutes les manières, nous sommes sur le champ littéraire. Mais l’important est qu’à la fin, Basile a été libéré et donc était innocent. Nombreux sont ces innocents qui croupissent en prison dans des conditions carcérales insupportables, insoutenables. A la fin de la lecture, je suis resté triste et frustré pour le personnage de Basile. On ne doit pas être injustement gardé à vue ou déposé en prison. Non ! C’est horrible ! Nous n’imaginons pas le poids des traumatismes sur l’incarcéré. Il est très difficile de s’en remettre et de réintégrer la société. L’auteur allait prolonger le récit et nous parler de la procédure de dédommagement de ce dernier. Basile devrait être dédommagé. Ce qui ne pourra même pas compenser sa peine et le traumatisme qu’il vit. La détention des innocents dans les prisons reste l’un des majeurs défis de nos justices. Il nous faut trouver des approches de solution à ce fait social.
FAMBI Kokou Isaac, écrivain.